L'ogre

Publié le 8 Décembre 2010

Dans un petit royaume aux toits de chaume, dans un château de taille modeste vivait un prince qui n’était pas plus haut que le fourneau des cuisines de son château.  Il n’avait pas d’amis. Les autres n’étaient pas à leur aise avec lui en raison de son rang et de son apparence physique. Ses cheveux étaient blonds comme les épis de blé des champs qui entouraient le parc du château, ils avaient presque la couleur de l’or, ses yeux étaient vairons, un jaune et un vert. Il portait un pantalon très court car il avait de petites jambes auprès desquelles son torse, recouvert d’une tunique de soie brodée, paraissait de taille respectable. Malgré son physique différent, sa prestance et son air de bonté naturelle le rendaient beau.

Zian avait pour habitude, tous les premiers jours du mois, depuis que le roi, son père, lui en avait donné l’autorisation d’aller se promener à l’aventure un peu plus loin dans la forêt, hors des limites du royaume. Il y cherchait de l’aventure, de la compagnie.

Un jour, alors qu’il était sur son cheval, le ciel se zébra d’éclairs et une pluie de grêle s’abattit, qui effraya à tel point le cheval que Zian en perdit le contrôle. Accroché à ses rênes, il parcourut à toute allure les profondeurs de la forêt. Il vida la selle, à bout de forces, au bout d’un moment et se retrouva assis sur le sol, au milieu de nulle part. Il eut beau appeler son cheval, celui-ci ne revint pas.

Le soir venu, il était toujours égaré, épuisé d’avoir marché pendant des heures sans cesser d’appeler à l’aide, ne recevant aucune réponse. Les animaux de la forêt l’observaient craintivement sans le fuir car ils étaient peu habitués à la présence humaine. Zian finit par s’endormir à même le sol sur un tapis de mousse et de feuilles, sous les yeux étonnés de la famille d’écureuils qui habitait dans l’arbre au pied duquel il avait trouvé refuge.

Durant la nuit, il fit un rêve étrange dans lequel il voyageait par monts et par vaux, il lui semblait voler au dessus d’une rivière, escalader sans peine une montagne et arriver à une porte si immense qu’il lui semblait impossible de la franchir.

Quand il ouvrit les yeux, il était sur un divan aussi grand que trois chambres chez lui. Son corps recouvrait à peine un coussin. Il entendit un souffle puissant, qui lui fit hérisser les cheveux. Se retournant, il fit face à la tête d’un géant au dessus de l’accoudoir. Effrayé, il lui dit aussitôt :

-Ne me manges pas, je suis un prince, je serais indigeste pour toi. J’ai une proposition à te faire.

          L’ogre le regarda d’un air indigné :

-Pour qui me prends-tu ? Tu es bien vivant. Si j’avais désiré te manger, tu ne serais déjà plus de ce monde. Je t’ai trouvé dans la forêt alors que je chassais et je t’ai ramené chez moi pour que tu puisses y dormir en sécurité.

-Merci beaucoup, dit Zian. Ne m’en voulez pas pour cette méprise, je suis confus. Dans les histoires que me racontaient ma nourrice, les ogres étaient toujours méchants, féroces et dévoreurs d’hommes. Je suis ravi que vous ne soyez pas ainsi. Comment puis-je  me faire pardonner ?

-Quelle était ta proposition si je t’épargnais ?

-Je connais une sorcière qui est mon arrière grand-mère qui peut, par quelque potion de sa fabrication, te donner taille humaine.

-Je me méfie des sorcières et de leurs potions, dit l’ogre. Jadis, j’étais heureux en tant que lutin de jardin parmi les miens, au milieu des fleurs que j’adorais, quand une sorcière m’a pris pour faire une expérience sur moi. Elle voulait me transformer en être humain et elle m’a métamorphosé en ogre. Imagine le travail que cela m’a demandé de me construire une maison à taille d’ogre et de m’accepter comme tel.

-J’imagine fort bien, dit le prince, que cela a du être difficile en effet. Mais ne seriez-vous pas désireux d’avoir taille humaine pour  trouver une épouse ?

-Mais j’ai déjà trouvé une femme qui est la plus charmante qui soit et elle accepte parfaitement notre différence, protesta l’ogre.

          La femme, qui était cachée derrière un vase dans la pièce et qui les écoutait, sortit de sa cachette et avoua :

-Mais, en réalité, je serais très contente de devenir une ogresse pour avoir la même taille que toi. Tout est trop immense pour moi ici. Je suis lasse que tu doives me porter pour m’embrasser, pour me regarder et pour m’aider à me déplacer.

-Je n’avais jamais pensé que tu n’étais pas heureuse ainsi, dit l’ogre, en se grattant la tête.

-Je suis heureuse parce que je t’aime et que tu es un bon mari mais je pense que nous serions encore plus heureux si nous étions plus proches en taille.

-Alors c’est à moi de changer d’aspect, dit l’ogre, car j’en aie plus l’habitude que toi et je ne puis supporter que tu coures ce risque. Et ta sœur serait malheureuse si nous devenions géants tous deux et qu’elle restait seule de taille humaine avec nous.

          Zian dit :

-S’il en est ainsi, reconduis-moi dans mon royaume. La sorcière, mon arrière grand-mère, vit retirée au bord de la rivière Espérance.

          L’ogre posa le prince sur son épaule et lui dit de se tenir à ses bretelles. En une centaine de pas, ils furent à la maison de la sorcière. Elle était faite de boue et de paille. Sa charpente était constituée d’os de dinosaure. L’ogre ne put entrer, il regarda et écouta par la fenêtre ouverte ce qui se passait. Le prince raconta à sa parente ce qui lui était arrivé.

La sorcière était fraîche comme une rose, elle était vêtue d’une robe uniquement composée des pétales de cette fleur et son âge ne se voyait aucunement. Elle avait un aquarium avec une mini baleine dedans, un chien habillé comme vous et moi ainsi que des chaussures à roulettes qui la faisait virevolter à chacun de ses déplacements. En un tour de mains et quelques tours de passe-passe, la potion fut prête. La sorcière se pencha à la fenêtre et  présenta le breuvage à l’ogre. Celui-ci la reconnut alors :

-C’est vous qui m’avez transformé de lutin de jardin en ogre, s’écria t-il.

-Cela se peut, dit la sorcière. J’étais en apprentissage alors, je manquais d’expérience, je suis confuse. Vous m’en voulez ?

-Je vous en aie voulu au début, dit l’ogre, mais après, j’ai trouvé des avantages à mon nouvel aspect.

-J’espère que vous en trouverez aussi à l’état d’homme, dit la sorcière.

          L’ogre rentra chez lui et, là, sous les yeux curieux du prince, d’Elise, sa femme et d’Eliane, sa belle-sœur, il se transforma. Le prince ne vit rien de la transformation car, depuis qu’Eliane lui était apparue, il ne pouvait la quitter des yeux, fasciné par sa beauté.

          Elise poussa un grand cri. Les vêtements de l’ogre étaient tombés et on ne voyait plus rien en dessous. Heureusement, son mari émergea d’une de ses chaussures.

-Ne t’inquiète pas, ma chérie, je suis là, lui dit-il.

          Il sortit, emballé dans une de ses chaussettes, et sa femme s’empressa de lui tendre des habits qu’elle avait cousus pendant leur absence. Ils étaient tous petits dans cette maison immense. L’ogre dit qu’il allait devoir bâtir une autre maison, adaptée à sa nouvelle taille. Sa femme, Elise, l’embrassa. Elle dit au prince qu’un cheval était à sa disposition s’il voulait rentrer chez lui. L’ogre lui dit qu’il espérait qu’ils seraient toujours amis, le prince dit qu’il l’espérait aussi mais il restait immobile, ne donnant aucun signe de vouloir s’en aller, regardant Eliane qui le regardait aussi.

-Si j’osais, dit enfin le prince, j’aurais à mon tour une faveur à vous demander. Je sais bien que cela vous priverait d’un membre de votre famille qui vous est cher mais si vous vouliez bien me donner votre belle-sœur pour épouse, je serais le plus heureux des hommes.

-Le veux-tu, Eliane ? demanda l’ogre.

          Eliane toute rougissante, dit que oui, qu’elle aimait le prince aussi.

Ils partirent tous deux vers le château du roi. Tout le royaume fut en liesse de revoir le prince, dont on craignait qu’il n’ait été victime d’un accident car son cheval était revenu seul dans les écuries. Le roi et la reine furent conquis par leur future belle-fille. Le mariage fut célébré en grande pompe, l’ogre à taille humaine y vint, accompagné de sa femme, et tout le monde s’accorda à les trouver charmants.

          Les jours passèrent dans la paix et le bonheur pour le prince et sa femme. Un matin, pourtant, Elise vint leur rendre visite.

-Cela ne va pas du tout, leur dit-elle. Depuis qu’il a été transformé en homme, mon mari, bien qu’il tente de me le cacher, est malade de tristesse. Il n’arrive plus à chasser aussi facilement et il ne peut jamais manger son content car son estomac est trop petit maintenant. Il est frustré d’être comme tout le monde, il en a si peu l’habitude qu’il se sent ridicule. Il a perdu toute confiance en lui. Je voudrais retrouver mon mari d’avant.

          Tous trois se rendirent dans la maison de la sorcière. Elle leur donna la potion qu’ils souhaitaient en leur précisant que ce serait la dernière fois car il s’agissait de la troisième transformation de l’ogre et que celle-ci serait irréversible.

Tous trois se rendirent au domicile de l’ogre. Sa nouvelle maison, qui n’avait rien du faste de la précédente, éclata en morceaux à sa transformation. Ils se hâtèrent de regagner  leur immense demeure, les trois humains étaient sur l’épaule de l’ogre qui avait retrouvé toute sa bonne humeur et toute sa force. Il se mit aussitôt à manger sous le regard heureux de sa femme.

          Ainsi, tout est bien qui finit bien. N’essayez pas de changer vos amis, acceptez les tels qu’ils sont, c’est ainsi qu’ils vous aimeront d’autant.

 

Un conte d'Igor et Sandrine Weislinger

Rédigé par Sandrine et Igor

Publié dans #conte merveilleux

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