Ca brille là-haut

Dans le pays le plus haut, le plus reculé du monde, à quelques pas des nuages ; dans le lieu le plus caché, le plus inconnu encore à ce jour, le temps semble s’être arrêté sur le bonheur des habitants d’un beau château. C’est une demeure d’où les hommes ont vue sur les oiseaux, où l’air est si pur que l’on y respire que de douces senteurs et où les fleurs les plus merveilleuses qui soient poussent à profusion. Le château est placé si haut dans le ciel qu’il n’y pleut jamais. Il y brille simplement toute la plus belle myriade d’étoiles, la vue sur la voie lactée est unique.

            Parmi les occupants du château, trois suffisent à créer cette harmonie parfaite, ce sont le roi Bonnefoi, la reine Bonnenouvelle et le fou du roi Bonvivant ; le roi parce qu’il est toujours juste et de bonne humeur, la reine parce qu’elle est très belle et généreuse, le fou du roi parce qu’il est gai toute l’année et que leurs fous rires à tous les trois sont si contagieux qu’ils font rire tout le royaume et que, sur la terre, on les entend comme des coups de tonnerre.

            Il y avait pourtant quelqu’un dans tout l’univers que cette harmonie agaçait. C’était la lune. Elle travaillait dur la nuit pour faire briller sa lumière aux quatre coins de l’univers et elle aspirait au repos le jour. Depuis que le roi Bonnefoi était monté sur le trône, son aura dans le ciel était plus grande que la sienne. La lune était jalouse. Elle alla raconter ses ennuis au soleil qui s’effaça, causant une éclipse. Elle lui dit :

-Je perds mon prestige. Les hommes m’ont oublié. Ils préfèrent de loin les fastes du roi, sa bonhomie, son optimisme, sa joie de vivre à mon rayonnement. La nuit, alors que je suis seule et que je brille pour eux, ils ne pensent plus à moi, ils ne me regardent plus et ne font plus de vœux à mes sœurs, les étoiles.

-Que veux tu que je fasse pour t’aider ? demanda le soleil. Pour moi, tu es toujours aussi lumineuse.

-Si nous arrêtions tous les deux de nous montrer alors ils le remarqueraient forcement, dit la lune.

-Si cela t’est agréable, cela fait longtemps que je n’ai pas pris de vacances, je n’en brillerai qu’avec plus de chaleur à mon retour, approuva le soleil.

            Le lendemain, le fou du roi vint réveiller le roi et la reine avec une bougie.

-Souverain bien-aimé, le soleil ne s’est pas présenté ce matin. Les coqs dorment encore.

            Le roi éclata de rire, souffla la bougie et se retrouva dans le noir. Sa femme lui dit :

-Laissons bouder monsieur le soleil, fou du roi, accordez vous une journée de vacances. Venez vous recoucher, mon aimé, profitons en pour faire la grasse matinée.

            Mais le soir venu, ni la lune ni le soleil ni toutes leurs étoiles n’étaient encore apparus. Les jours passèrent sans que cette situation change.

-Il faut que j’aille leur parler, dit le roi. Il se trame quelque chose et j’ai mal aux yeux.

            Il monta en haut de la plus haute tour du château en s’agrippant aux marches pour ne pas tomber, monta sur son nuage secret le plus épais accompagné de son fou et ils crièrent en chœur :

-Eh ho ! De la lune, du soleil, y a quelqu’un ?

            L’écho de leurs paroles retentit dans les cieux. Seul un hibou et sa femme, la chouette, qui voyaient dans le noir mais qui n’avaient rien à faire si haut montèrent jusqu’à eux.

-Le soleil et la lune sont partis en vacances. Nous allons vous guider.

            Pendant ce temps, au château, tout le monde était heureux malgré l’obscurité. Toutes les bougies et les feux de cheminée avaient été allumés, tous les habitants du royaume avaient été invités pour écouter la reine chanter et annoncer de bonnes nouvelles. Personne ne semblait être inquiet. La reine avait une voix magique qui apaisait et dispensait du bien être.

            A peine avaient ils franchi les premiers nuages que le roi et son fou, qui lui racontait des plaisanteries plus folles que jamais pour l’égayer ce qui faisait glousser la chouette, virent les plus grosses gouttes de pluie qu’ils n’avaient jamais vu s’écraser sur eux.

-Mais je suis mouillé, dit le roi. Je n’ai jamais été mouillé à part dans ma baignoire.

-Et moi donc, dit le fou, même dans mes blagues, je ne me mouille jamais.

-Un roi doit se sacrifier pour ses sujets, dit le roi. Supportons donc ce doux supplice.

-Vous êtes sûr que ce n’est pas mauvais pour notre santé ? Nous risquons de nous enrhumer, cela ne nous est jamais arrivé, s’inquiéta le fou.

-C’est un mot de votre invention, enrhumé ?

            Le couple de chouettes qui les écoutait les trouvait complètement frappés. Ils en hululaient  de rire sous leurs plumes.

            Après la pluie, le vent se mit à les faire ballotter. Le fou s’écria :

-Ca tangue, je sens que nous allons avoir le vertige ou le mal de mer.

            Il s’accrocha à la cape du roi.

-Je sens que ma couronne vacille, tenez la moi que je ne la perde pas mais arrêtez de dire des âneries. La mer, c’est un truc de terrien, pas de risque qu’elle nous fasse mal. Atchoum ! Oh ! Qu’est ce qui m’arrive ? Cela ne m’est jamais arrivé !

-Vous éternuez, votre majesté !

-Qu’est ce que c’est, c’est une maladie ?

-Un symptôme de contamination terrestre, votre excellence !

-On nous a jeté un sort ?

            Le hibou et la chouette, pliés en deux par tant de naïveté et d’ignorance, arrivèrent au lieu où le soleil et la lune prenaient leurs vacances. Ils avaient choisi des volcans d’Auvergne éteints pour assurer leur tranquillité. Le soleil et la lune reposaient, cachés dans le lac d’un cratère qui en avait jauni, roussi, gonflé et mis en bulle comme une omelette en train de frire.

-Ils ont une baignoire plus grande que la mienne, s’écria le roi d’un ton indigné. Et leurs sels de bain sont vraiment bizarres, j’aimerai bien les essayer.

-Cela ne se vend pas sur catalogue, dit le fou. C’est réservé aux astres. Vous brillez autant qu’eux mais vous n’en n’êtes pas un.

-Qu’ils sont beaux quand même tous les deux !

            Le roi et le fou reprirent en cœur :

-Eh ho ! Du soleil, de la lune, y a quelqu’un ?

            Le volcan se mit à parler d’une seule voix qui résonna dans tout l’univers :

-Qu’y a-t-il pour votre service ?

-Je suis le roi du pays d’en haut au dessus des cimes.

-Nous vous connaissons trop bien.

Le roi rougit.

-Merci, trop aimable. Je me permets de venir vous demander d’interrompre vos vacances car nous sommes dans la détresse sans vous. Les coqs ne chantent plus, nos cultures ne poussent plus, les enfants ne vont plus à l’école, les chevaux ne labourent plus les champs, nous dormons trop, nous ne mangeons plus assez car la nourriture ne nous est plus livrée, nous tombons et nous nous faisons mal tout le temps, nos lunettes de soleil ne servent plus, il fait tout le temps froid…

            Le fou du roi ajouta :

-Les fleurs n’ont plus de couleur, les cheveux et les yeux de ma femme non plus, on ne sent plus rien, y a plus de parfum donc rien n’a de goût sans vous.

-C’est de votre faute. Vous brillez un peu trop, vous nous éclipsez. IL n’y en a que pour vous et, même alors que nous sommes absents, votre royaume éclate encore de rire.     

Le fou du roi dit :

-Notre bonheur vous dérange t’il ?

-Au contraire, vous nous demandez moins de travail mais vous nous oubliez. Nous aussi avons besoin de votre amour pour briller. Nous voulions vous faire réfléchir

 

-Mille pardons, dit le roi. C’est tout réfléchi, revenez. J’aime la vie, mes sujets aussi, nous vous aimons plus que tout même si nous oublions parfois de vous le faire savoir. Je vous promets que je recommanderais à tous mes sujets de penser à vous et que, bientôt, nous vous rejoindrons tous pour célébrer un heureux évènement.

            Le soleil et la lune se firent encore un peu prier mais acceptèrent de les suivre. Le soleil se leva avec trois jours de retard le temps que finissent leurs vacances. De nouveaux astres apparurent dans le ciel, encore plus resplendissants.

Au château, la reine inventa une nouvelle chanson pour les louer que tout le château reprit en chœur : Le soleil a rendez-vous avec la lune.

 

            Sitôt le roi rentré, son épouse lui sauta au cou et lui annonça un heureux évènement : elle était enceinte suite à leur grasse matinée prolongée avant son départ.

-Merveilleux ! dit le roi, nous l’appellerons Luna si c’est une fille et Soledad si c’est un garçon. Ils vont être contents.

 

            Ainsi, dans une harmonie universelle, cette histoire finit.

 

Prenez garde au ciel, ses colères sont quelquefois foudroyantes et, mieux vaut ne pas le fâcher, c’est si beau de le voir illuminé. Si vous levez les yeux vers les étoiles et entendez des coups de tonnerre, pensez à ce château où tout le monde rit sans s’en lasser.

 Un conte de Sandrine Liochon et Igor Weislinger

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