Regagner ses pénates (nouveau conte - expression)

Publié le 5 Mai 2018

Texte extrait du recueil Contes à tire d'aile(illustré par Pascal Hamel)

A paraître prochainement aux Plumes d'Ocris

 

Toute cette mésaventure qui me fait encore frissonner lorsque je la raconte, même à la chaleur de ce bon feu de bois, s’est déroulée l’hiver dernier.

Je devais rendre visite à un client au fin fond de la campagne ce matin-là. C’était une de ces journées froides, pluvieuses, d’une humidité qui vous glace jusqu’aux os et vous fait remonter le col de votre pardessus et serrer plus étroitement votre écharpe autour de votre cou en regrettant de ne pas pouvoir rester chez soi, blotti sur son canapé avec de bonnes pantoufles fourrées et quelque chose de chaud à boire.

Je maudissais ma négligence : depuis le temps que je devais changer mes essuie-glaces, c’est quand j’en avais un besoin urgent que je réalisais les méfaits de ma procrastination. Impossible de distinguer clairement la chaussée. J’enfonçais dans des flaques de gadoue de plus en plus épaisses, cette petite route étant constellée de trous et de bosses. Je me trouvais encore à une demi-heure de l’arrivée quand Monsieur Brouissard appela pour me signaler qu’il était bloqué chez lui en raison des intempéries et que je ne pourrais pas parvenir à son domicile, ni en voiture ni à pied à cause de la rivière proche de chez lui qui avait débordé. Il ne me restait plus qu’à faire demi-tour mais l’absence complète de visibilité me dissuadait de le faire dans l’immédiat. Je n’avais pas envie de finir dans un fossé.

Force me fut d’avouer que je ne pouvais pas avancer d’un pouce. Pas question de rester dans la voiture à faire tourner le moteur en usant le peu d’essence qui me restait sous prétexte de garder le chauffage allumé, j’étais en retard en partant de la maison et je n’avais pas pris le temps de faire le plein d’essence. Je décidais de sortir du véhicule et de marcher un peu en espérant trouver refuge dans une habitation plutôt que de geler sur place dans un habitacle dont les carreaux se couvraient rapidement d’une fine couche de buée qui m’empêchait de distinguer ce qui se passait alentour.

Comme j’étais un amateur de balades au grand air, je gardais toujours une paire de bottes en caoutchouc dans mon coffre, je m’empressais de les enfiler pour ne pas abîmer mes élégantes chaussures en cuir. J’ajoutais à ma panoplie mon ciré et mon parapluie. Et vêtu comme un pêcheur breton, clopinant dans les flaques d’eau en slalomant pour éviter de marcher sur les gros escargots de Bourgogne qui paraissaient tous de sortie, j’avançais comme je le pouvais sur le chemin de terre caillouteux et plein d’ornières que je n’avais pas souvenir d’avoir déjà emprunté en voiture. Mais, à pied et sous la pluie, les repaires visuels changent. Une grenouille me fit sursauter en bondissant devant moi.

Au bout d’une dizaine de minutes de marche, à un détour du chemin, je commençais à désespérer de rencontrer âme qui vive par ce temps de cochon quand j’aperçus une charmante chaumière au toit de chaume dissimulée derrière un petit étang ombragé d’un grand saule pleureur. Je tapais au heurtoir ancien en forme de mésange et contemplais le toit de chaume avec une douce mélancolie en me disant que si je pouvais vivre dans un tel endroit, je serai incontestablement le plus heureux des hommes.

Faute de réponse à mes coups, j’entrais. La maison était bien rangée mais semblait inhabitée depuis un certain temps car une fine couche de poussière recouvrait les meubles et une odeur de renfermé incommodait un peu. Je m’empressais d’aérer puis d’épousseter un confortable fauteuil en cuir pour m’y asseoir. Je frissonnais, glacé par l’humidité dans l’air et songeais que je risquais d’attraper froid si je ne trouvais pas un moyen de me réchauffer. Une panière pleine de bûches, de petit bois et de journaux disposée près de la cheminée me décida à allumer un feu.

-Je dédommagerais les propriétaires plus tard, me dis-je.

Je trouvais également du café que je fis bouillir. Les pieds chauffés par la flamme, réconforté par la boisson chaude, fatigué par le trajet, je m’endormis paisiblement sans m’en rendre compte.

Le grincement de la porte me réveilla. Une femme entra qui me regarda avec surprise.

-Que faites-vous ici ? me demanda-t-elle.

Je lui racontais ma mésaventure.

La nommée Mélissa m’expliqua qu’elle était une agente immobilière venue prendre des photos de la maison pour la mettre en vente, le propriétaire étant récemment décédé et ses héritiers peu désireux d’habiter un endroit aussi isolé. Je m’informais du prix. Devant la modique somme annoncée, je me portais acquéreur avant même d’avoir terminé la visite de la maison et des hectares de terrain. J’avais un vrai coup de cœur pour cet endroit.

Avec toute cette affaire, je regagnais mes pénates en fin d’après-midi seulement mais mon petit appartement en ville me parut subitement bien terne comparé au havre de paix que je venais de quitter.

Heureusement, trois mois plus tard, j’emménageais dans ce petit paradis, bénissant le mauvais temps et le faux bond de mon client qui m’avaient permis de dénicher cette merveille. Hasard ou signe du destin ? Je ne sais pas vous mais moi, personnellement, je ne crois pas aux coïncidences.

Rédigé par Sandrine et Igor

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