L'oie de Merloie

Publié le 21 Novembre 2010

 

Il était une fois un prince qui avait une étrange habitude. Lorsqu’il était enfant, son père, le roi, lui offrit, au retour d’un de ses voyages, une oie dite magique. Elle accompagnait l’enfant partout, jusque dans ses rêves, puisqu’elle dormait à ses côtés. Devenu adulte, le prince Charles ne réussissait pas à dormir sans une demi-douzaine d’oreillers rempli des plumes de cette oie. Il avait renoncé à dormir avec son oie, Perle, du fait qu’il allait se marier sous peu.

Un matin, le valet qui donnait à manger à Perle, déboula dans le salon, tout alarmé.

-Votre majesté, votre oie a disparu !

-C’est impossible, s’écria le prince, horrifié. Vous avez du lui manquer de politesse. C’est une oie très sensible et très raffinée, vous avez du mal lui parler.

          Il se précipita vers la petite cabane au bord de l’étang où logeait son amie. Elle était vide.

-Personne n’a pu la faire disparaître, dit-il. Elle aurait crié, elle aurait donné des coups de bec. Peut-être s’est -elle retirée dans un coin paisible pour pondre des œufs. Avez-vous bien cherché dans tout le royaume ?

-Pas encore, votre majesté. J’ai préféré vous avertir tout de suite.

          Les recherches restèrent vaines. Le matin suivant, le prince était au balcon, n’ayant pas dormi de la nuit. Il devait convoler et partir en lune de miel,  il prévint sa future femme qu’il souhaitait reporter ce voyage car il ne pouvait vivre sans son oie. En effet, sans Perle, il ne pourrait dormir longtemps car seules les plumes qui provenaient de cette oie lui permettaient de trouver le repos. Ses oreillers devaient justement être changés la semaine suivante, date à laquelle il devait partir en voyage de noces.

          Charles alla trouver son père et lui fit part de son départ imminent. Il voulait repousser son mariage jusqu’à ce qu’il ait retrouvé Perle. Le roi lui dit que s’il n’était pas revenu dans un mois, le mariage serait annulé et qu’il n’accèderait pas au trône. Il lui demanda de partir seul pour ne pas attirer l’attention. Le roi pensait que cette aventure ferait mûrir le prince et qu’il serait ainsi plus apte à lui succéder.

          Le prince décida de se rendre dans l’île Merloie, d’où était originaire Perle. Il fallait pour se faire traverser un bras de mer, ce qui effrayait un peu le prince qui n’avait jamais navigué. Il embarqua néanmoins dans une grande barque qu’il loua à un pêcheur. L’île était visible de la plage et lui parut proche. En réalité, plus il ramait, plus elle lui semblait lointaine.

          Soudain, un choc d’une violence extrême fit chavirer son embarcation. Charles bascula dans la mer, une rame à la main. L’eau était claire et il vit avec horreur qu’il était attaqué par un requin. Il n’en n’avait jamais vu mais son père lui avait décrit cet animal effrayant à maintes reprises, en revenant de ses aventures. Le requin fonçait sur lui, l’air menaçant, la gueule béante, laissant entrevoir des dents acérées comme des couteaux. A l’aide de sa rame, le prince tenta d’assommer le requin. Face à l’inefficacité de ses coups, il lui coinça la rame entre les mâchoires puis remonta précipitamment à la surface, à court d’air. Il venait d’aspirer plusieurs bouffées d’oxygène, il essayait de redresser sa barque quand quelque chose le saisit à la cheville et le fit descendre dans les profondeurs.

Pendant quelques secondes, Charles fut vert de peur, pensant que c’était le requin qui l’entraînait ainsi, puis il osa regarder et vit que c’était une charmante jeune femme à queue de poisson qui le conduisait. Elle lui sourit et l’entraîna plus profondément encore jusqu’à une cité située au fond des mers. Le prince, qui avait retenu sa respiration le plus longtemps possible, ouvrit la bouche, n’en pouvant plus, et découvrit avec stupéfaction qu’il pouvait respirer sous l’eau ainsi que parler.

-Quel est ce prodige ? s’étonna-t-il.

-Suis-moi, tu sauras tout bientôt.

          Ils survolèrent sous les eaux une magnifique ville toute en corail, en émail, ornée de coquillages et d’algues luminescentes. Le prince n’avait jamais rien vu d’aussi beau de toute sa vie. La sirène le conduisit jusqu’à un somptueux palais. A l’intérieur, dans une vaste salle, une femme était assisse sur un trône. Son immense chevelure flottait autour d’elle ornée de ravissants petits coquillages.

-Bienvenue chez toi, mon fils, lui dit-elle.

-Comme puis-je être votre fils ? demanda le prince, interloqué. Mon père m’a toujours dit que ma mère était morte.

-S’il t’a laissé partir, c’est qu’il estime que tu es maintenant en âge de connaître la vérité. J’ai quitté son royaume car ma présence était nécessaire ici et je me plais davantage dans les flots paisibles que dans le monde si agité au-dessus. Ton père t’a eu à ses côtés pendant vingt ans, c’est mon tour maintenant.

          Le prince ne voulut pas s’opposer à elle ouvertement dès leur première rencontre mais, bien qu’il soit ravi de faire la connaissance de sa mère, il n’aspirait qu’à retrouver le ciel bleu et son oie.

          Aussi, lorsque vint la nuit, il ne dormait toujours pas car même le monde sous-marin ne pouvait rien au mal étrange dont il était frappé. Il remonta donc à la surface et cette fois ci à la nage, il rejoignit l’île. Il atteignit la plage dans un état d’épuisement extrême. Le sable était recouvert de plumes d’oie, sur lesquelles il s’endormit paisiblement.

          Un coup de bâton le réveilla. Un homme bronzé, habillé comme un épouvantail, se tenait devant lui.

-Je suis Nosnibor. Que faîtes-vous sur mon île ? lui demanda t-il.

- Je suis le prince …

-Cela, je m’en doutais, dit Nosnibor. Seul un vrai prince peut dormir sur un matelas de plumes d’oie. Mais pourquoi êtes-vous venu ?

-Pardonnez-moi, dit Charles, je ne savais pas que cette île appartenait à quelqu’un. J’ai pour amie une oie, qui est originaire de cette contrée. Je pense qu’elle s’y est réfugiée.

-Toutes les oies qui sont ici sont à moi, dit l’homme. Prouvez-moi que l’une d’entre elles vous appartient et vous pourrez la prendre.

          Le prince mit ses mains en porte-voix et cria de toutes ses forces :

-Perle ! Perle ! Perle !

          Après quelques instants d’angoisse, à sa grande joie, il vit son oie arriver en se dandinant. Il se précipita vers elle les bras tendus mais l’oie restait immobile, l’air réservé.

-Qu’y a-t-il ? demanda Charles. Es tu partie parce que tu es fâchée contre moi ?

-Mais vous êtes fou, dit le propriétaire de l’île. Vous parlez à une oie !

-Je vous le dis, elle est plus intelligente que toute autre. Je la connais depuis mon plus jeune âge et je dépéris sans elle.

-Je croyais pourtant que tu n’avais plus besoin de moi parce que tu allais te marier, dit Perle.

-C’est faux, dit le prince, tu comptes toujours autant pour moi, tu seras toujours ma meilleure amie. Sans toi, je ne peux vivre et mon cœur est rempli de tristesse. J’aime celle que je vais épouser mais cela ne retire rien à l’affection que j’ai pour toi.

          L’oie gloussa de plaisir et alla se blottir dans ses bras. Le prince et le robinson de l’île construisirent un radeau. Charles s’en retourna sur le continent avec Perle. Le délai était presque écoulé mais il fut à temps pour épouser sa promise à la grande joie de tous et pour la grande fierté de son père à qui il fit part de toutes ses aventures.

          La sirène vient de temps à autre leur rendre visite et la famille réunie coule des jours heureux. Lorsque Charles monta sur le trône, son oie l’aida à faire régner la justice. Quand le prince était indécis face au choix qui s’offrait à lui, l’oie jasait dans le sens qu’il devait choisir. Son jugement était juste et infaillible alors bien imprudent celui qui dirait : « Bête comme une oie ! ».

 

Un conte de Sandrine et Igor Weislinger

Rédigé par Sandrine et Igor

Publié dans #conte merveilleux

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